dimanche 22 avril 2012

Oman de l'intérieur

Tout d'abord que je vous rassure : les eaux sont redescendues presque aussi vite qu'elles étaient montées et nous avons pu quitter Sinaw. Suite à cette expérience et face à des prévisions météo inquiétantes, nous avons décidé qu'il était plus raisonnable de quitter Oman et de rejoindre les Emirats. Avec un visa omanais qui court et surtout un visa pour l'Arabie saoudite à la validité limitée, nous ne pouvons nous permettre de rester bloqués trop longtemps entre deux wadis.
Mais nous avons passé des moments incroyables dans ce petit quartier de Sinaw. Vous connaissez maintenant à travers nos récits l'hospitalité omanaise. Nous n'avions toutefois jamais eu l'occasion d'entrer dans les maisons et c'est avec plaisir que nous avons accepté les invitations nombreuses qui nous ont été faites lors de cette journée pluvieuse.
Les femmes sont venues me chercher et je me suis retrouvée dans une ambiance chaleureuse, bruyante et gaie, à boire le thé et manger des dattes. Elles m'ont vite expliqué : "Dans le quartier on est toutes soeurs ou cousines. Comme tu vis dans notre quartier, tu es notre soeur alors tu as le droit d'entrer dans toutes les maisons, de venir dormir chez nous, de venir te laver, laver ton linge, manger, faire ce que tu veux !". Je leur ai dit que j'étais ravie puisque j'ai toujours rêvé d'avoir une soeur. Elles m'ont répondu qu'à Oman tu n'as jamais une soeur, mais 7 ou 8. Soit. Elles m'ont fait visiter le quartier, qui est en gros effectivement le fief d'une famille. Cette famille vit en très bonne entente avec une famille de bédouins qui viennent s'installer là tous les étés pour quelques mois dans la ville et à ses portes.
Nous avons ensuite été invités à déjeuner dans une autre maison (chez des cousins donc !). A peine arrivés devant l'énorme maison (les maisons omanaises sont très très grandes), le maître de maison m'a ouvert la porte et fait signe d'entrer. Je suis entrée avec les enfants. Après avoir salué une première femme que j'ai prise pour la maîtresse de maison puisqu'elle avait un bébé dans les bras, une seconde pour la même raison, elles m'ont dit que Madame allait arriver. Nous avions oublié ce qui allait se confirmer : les familles omanaises ont en général deux employées-maid-nounous, indonésiennes, philippines ou sri-lankaises, toujours musulmanes. La maîtresse de maison est arrivée, puis une soeur (ou nièce) et sa mère. Pensant que les hommes traînaient dehors en bavardant j'ai envoyé Ulysse le chercher, n'osant pas m'installer tant que tout le monde n'était pas là. Il est revenu m'expliquer la situation : Xtophe était entré, par une porte à gauche de la porte d'entrée, dans le salon réservé aux hommes. Il allait rester là avec le maître de maison. Très vite la grand-mère a d'ailleurs chassé Ulysse, lui disant d'aller avec son père, il est désormais trop grand pour rester avec les femmes, Ulysse en a été dépité. Gaspard et Léon jouaient avec les autres enfants de la maison et du quartier parce qu'on ne sait jamais trop qui est qui et les enfants entrent et sortent en permanence. On nous a servi le kawa (un café fort, aromatisé à des épices que nous n'avons pas su identifier), avec les éternelles dattes, et des fruits. Par terre, comme toujours. On s'est dit qu'on avait peut-être mal compris et qu'on nous avait invité juste pour le café.
Mais finalement les femmes m'ont dit d'appeler les enfants, et nous ont indiqué une salle à manger. Nous y avons retrouvé Xtophe, puisque cette salle à manger jouxte le salon des hommes. Coussins le long des murs, et un festin posé sur une nappe sur le sol. La bonne a entrouvert la porte pour nous faire entrer et l'a vite refermée. Nous avons attendu un peu, hésité mais avons compris... que nous allions manger seuls, en famille, dans cette pièce ! Nous nous sommes régalés, riant de cette situation plus que toquée pour nous. A la fin du repas, je suis repartie dans la maison avec Rachel, Léon et Gaspard. Le maître de maison a vite rejoint Xtophe et Ulysse dans le salon des hommes. Lorsque nous sommes repartis, Xtophe est sorti par la porte extérieure. Il n'aura pas vu une femme, ne les aura pas saluées ni remerciées, il n'aura pas mis un pied dans la maison.
Et c'est ainsi dans toutes les maisons. Au cours des nombreuses invitations à boire le thé (et manger des dattes arggg), j'aurai fait le tour des maisons, tout visité, on m'aura présenté les grand-parents (très beaux mais très impressionnants : des parchemins tout secs aux yeux de porcelaine... pas de chirurgie laser ici...), tandis que Xtophe ne sera entré que dans la pièce des hommes située à l'entrée de la maison.
Ces maisons ont des pièces immenses. Elles ont parfois, en face du salon des hommes (très confortable, meublé de canapés qui font le tour de la pièce), une pièce de réception pour les femmes, en général plus sommaire, meublée d'un tapis et d'une télévision. Il y a une chambre pour les garçons, une pour les filles, et ce qui a frappé les enfants c'est qu'il n'y a pas de jeux, pas de jouets, pas de livres. Parfois une wii, mais les enfants vivent tous dehors. La cuisine est séparée de la maison, elle est le royaume des bonnes. Les garde-manger m'ont confirmé l'impression que j'avais : ils n'ont sans doute pas beaucoup changé depuis des siècles. Pas de produits industriels ou très peu. Des sacs, des jarres, des bocaux. Beaucoup de maisons possèdent un jardin avec quelques herbes, palmiers dattiers (évidemment), et animaux : chèvres (plus nombreuses que les dromadaires et qui envahissent les rues), des poules, des oiseaux et lapins.
Nos enfants ont été séduits par cette vie de quartier, qui est en fait une vie de famille. A 12 enfants par famille, ils ne savent même plus vraiment qui est qui et de toute façon tous sont cousins. Les enfants jouent librement dans les rues, pied-nus (et un jour de pluie chez eux est comme un jour de neige chez nous, il faut les voir jouer dans les flaques et dans la rivière miraculeusement surgie dans son lit) enfin certains moins librement que d'autres, les filles sont voilées à partir de 9-10 ans. Et garçons et filles ne se mélangent pas, évidemment, comment le pourraient-ils ? La journée des hommes, quand ils ne travaillent pas, est rythmée par les aller-venues à la mosquée. Souvent les garçons revêtent leur belle tenue et viennent attendre leur père, petit entraînement sans doute. Les femmes prient chez elles, même si elles ont une mosquée où elles doivent aller pour certaines circonstances. Les bonnes s'occupent des enfants, de la maison, de la cuisine, des vieux. Comme aux Emirats, elles travaillent sans relâche. 
Nous n'avons que très peu de photos parce qu'il est impossible d'en prendre. (mais nos autres photos sont en ligne ICI ) Les femmes refusent d'être prises en photo, elles n'en ont sans doute pas le droit. Les seules fillettes qui acceptent sont celles qui ne sont pas encore voilées.
A Oman, nous avons remarqué un grand absent : le livre. La lecture plus généralement. Nous n'avons jamais vu personne lire ne serait-ce qu'un journal. Hormis le Coran ou ses versets, pas un livre dans les maisons. Certes la culture arabe est une culture orale (et nous faisons les frais du téléphone arabe lorsque nous arrivons quelque part) mais on comprend vite aussi que pour maintenir un peuple dans un mode de vie et de pensée ancestral, régi par des règles religieuses très strictes que nul ne songe à remettre en question, mieux vaut le bercer de prières, de confort matériel (réservé aux omanais) et ne pas lui donner trop l'envie de lire. Et c'est un tour de force quand on organise l'immigration (il faut de la main d'oeuvre) qu'on modernise le pays, qu'on construit des infrastructures touristiques et qu'on souhaite le développer économiquement. Mais le modèle émirati a prouvé que c'était possible.

Entre émerveillement face à l'exotisme, à la beauté des paysages, des personnes, à cette hospitalité réelle, et révolte par tous ces aspects d'un monde très dur, régi par des règles immuables et que personne ne songe à remettre en question, des règles totalement iniques, Oman ne nous aura pas laissés indifférents.

Mais plus que jamais, et aujourd'hui particulièrement, nous chérissons notre liberté de français.

(crédit photo Odile, merci !)

10 commentaires:

  1. quel beau récit. Je suis à jour de toutes les photos toutes plus époustouflantes les unes que les autres. Dans quelle langue communiquez-vous avec les Omanais ? notamment dans ces familles où vous avez été invités. Bises

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  2. En anglais mais ils le parlent bien plus mal que nous alors c'est limité. Anglo-arabo-simiesque dirons-nous.

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  3. "...mais parfois une Wii." Le monde est fou, non ?
    Ceci dit, c'est sans doute parce qu'une Wii n'aura jamais la force subversive d'un livre, tu as raison.

    Bon, au milieu des règles et des interdits, toi, au moins, tu as eu le droit de visiter les maisons (et de manger des dattes) !!

    Nath de B

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  4. comme je suis d'accord ici nous avons vote hier, et effectivement nous avons eu une pensée pour notre liberte...
    super recit. nous vous embrassons tendrement
    anne ce

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  5. pas de livre, incroyable!!
    que de belles rencontres!!

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  6. Quelle angoisse devant les photos de canyoning! Vous avez osé faire ça sans mon autorisation!...
    Le reste des images nous laisse baba. C'est beau.

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  7. Amatxi a raison heureusement que l'on est au courant après mais c'est quand même flipant et impressionnant!!!!!!!! Vous pouvez dire que vous aurez tout tenté..
    Bisous et bonne suite sans trop d'aventures négatives. Matita

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  8. Est-ce qu'Ulysse a eu le droit de jouer aux dominos quand il était chez les "hommes" ?
    Matita

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  9. Maisons émouvantes et mouvantes.

    Entre vous contemplant une tortue, et elle contemplant le Toqcar, qui était le plus surpris ? A chacun son Odyssée... ;-)

    Georges.

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  10. Si pendant un moment, votre aventure m'aura presque fait cauchemarder, aujourd'hui, elle me fait vraiment rêver!!

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