mercredi 28 décembre 2011

Mon Nègre de Khiva


Quand Thérèse a ses parents avec elle, sa procrastination quasi surnaturelle et héréditaire, et sa paresse orientale entièrement acquise se conjuguent pour vous priver, cher public du blog,  de sa prose alerte et essentielle. Elle réquisitionne donc son père, en tous autres domaines inutile - j'entends mécanique, orientation, cuisine de camping car, surveillance scolaire, conversions monétaires rapides, négociations tarifaires habiles, électricité automobile - utile donc seulement pour pondre le texte synthétique et définitif sur les Toqués en Uzbékistan. Je passerai sur tout ce que vous pouvez lire ou imaginer des merveilles architecturales que les noms de Samarcande, Boukhara, Khiva, ah Khiva! peuvent susciter dans nos imaginaires d'occidentaux pas encore blasés.  Nos photos en diront un peu mais ne vous couperont pas le souffle aussi bien que les courants d'air glacés qui nous escortent ni les éblouissements d'un soleil hivernal tenace sur les grandes coupoles bleues et les façades enluminées de briques, mosaïques et majoliques des médersas. De ce côté là pas de déception. Mais l'enthousiasme monte de deux crans si je vous parle de Léon, sa bonne humeur absolue, ses exclamations en direction de Mashi et Tashi, son ravissement de pousser sa poupée verte à musique dans sa poussette rose: le père Noël de Boukhara a fait très fort! Pour Gaspard qui croit en lui (le Père Noël) et pour Ulysse qui respecte toutes les croyances, des objets de l'espace. Pour Rachel des fringues pour ses protégées, et pour tous, des livres venus de France. Y compris le manuel de Latin pour une toute première leçon à Boukhara. C'est classe, non? Les Ouzbeks sont sympas chaleureux et arrangeants. Le marché parallèle est floride et tout se négocie surtout l'argent qui s'achète un bon tiers moins cher dans les alcool shops que dans les banques. Dans les bazars immenses comme celui de Taschkent on trouve sur des étendues incroyables toutes les denrées de l'Asie et tous les peuples de l'Orient. A celui de Samarcande, à l'ombre des murs branlants du gigantesque mausolée de la première épouse de Tamerlan, le marché aux tabacs multicolores à fumer, priser ou chiquer, est aussi étendu que la halle aux poissons de Btz. Bien sûr les cônes soigneux des épices en poudre seront sur les photos. En Ouzbékistan il fait très très chaud l'été, une chaleur telle qu'il ne faut "ni bouger ni penser". Mais en hiver il fait très très froid. Il faut beaucoup bouger et beaucoup penser. Les grands manteaux bleu foncé des hommes, les tchatan, et leurs toques de fourrure me rendent envieux même si le chapeau kirghize offert pour mon anniversaire par les enfants (voyez un peu celui de Tournesol sur le bûcher dans le Temple du Soleil) me va à merveille. En tous cas la famille croule sous les épaisseurs de laines  et  tout va très bien. Sauf pour le TocCar qui fait des siennes. Une toute petite liste: gazole gelé, gazole coupé d'eau, filtre à gazole bouché, durites fuyantes, pannes électriques, électroniques, bruit nouveau de suspension, bacs des eaux gelés. XTO est dans le cambouis, par températures négatives, au moins un jour sur deux. Malgré les encouragements de Léon " Allez Khan King Kar!" et malgré quelques éclusages de Sarbast bière locale, son moral va finir par flancher . Les Babouchka et Papouchka sitters font donc leur office, avec d'autant plus de coeur que le programme jusqu'à ce jour est respecté: on ballade, on commente les monuments, on cherche les petits restaus locaux, pour le plov, genre de paella orientale, les lacmans, spaguettis en soupe et les samsas, petits pains à la viande, à la citrouille ou au poulet. Et les chachliks cuites dans la rue. Le tout bien gras car les lipides contiennent des vitamines anti rides et aident à lutter contre le froid. Je crois que Thérèse aspire à retrouver les légumes au yaourt iraniens. Et aussi on lit, on conte, on rigole, on joue aux cartes et bientôt au Back Gammon tout neuf et hand made de Christophe. Nous sommes les seuls occidentaux perdus dans ces contrées à cette époque et cela procure un sentiment excitant de découvreurs de cités interdites, sauf que les vendeurs de tissus, objets artisanaux ou industriels s'éveillent sur notre passage et ne veulent pas rater ces touristes inattendus. Ce soir à Khiva la fière cité aux hautes murailles de pisé, là où jusqu'au 19è siècle on vendait les occidentaux comme esclaves, nous avons déambulé et rêvé au soleil couchant, puis dîné en famille dans notre grand hôtel mi soviétique-mi ouzbek dans l'ambiance inattendue mais pas inespérée d'un repas de profs du lycée local (j'imagine, je ne connais pas), sono sans limite, vodka à flot. Contrastes. L'écologie environnementale dont nous sommes les ambassadeurs sourcilleux n'a pas passé l'Oural, le Pamir ni la Caspienne. Les plastiques jonchent les terrains les rues et les fossés partout, et même le désert tout au long de la route. Les canaux qui parcourent les villes ressemblent à des égoûts à ciel ouvert, mais comme ils sont gelés les enfants des quartiers jouent à glisser entre les bouteilles et  immondices enserrés dans la glace. Et pourtant la beauté des gens et des lieux nous saute aussi partout au visage.
 Il faut aussi que je profite de ma position très privilégiée d'observateur impartial pour vous dire que Thérèse est formidable. Elle parle un russe bien sonnant d'une limpidité toute Pouchkienne, en tous cas apprécié des commerçants qui généralement accèdent à ses désirs. Thérèse vous concocte un repas minute des plus succulents sur sa cuisine roulante, elle dirige de main de maitresse un school bus à niveaux multiples, selon des méthodes qu'elle pourra diffuser à son retour: en trois mois Gaspard lit très bien et écrit habilement. Elle est assistante technique infaillible dans le Toc Car sauf ce soir où elle fit sauter tous les plombs et où nous appréciâmes le chic avec lequel son époux ne lui en tint pas rigueur. Lui, justement. Conducteur infatigable et habile à franchir les pires obstacles (hier 10 h de route non stop avec 100km de route ravagée dans le désert à 30 à l'heure), chauffeur même puisque mécanicien efficace au delà du possible, ravitailleur inventif, (en Asie centrale on arrête les camions sur la route pour leur acheter leur diesel, denrée rare), guide qui ne se perd jamais ni à pied ni en voiture, ni le jour ni la nuit. C'est vraiment l'homme de la situation. Avec de tels parents les enfants sont en sécurité, et les grands parents aussi.        
 Il y a plein d'autres choses à dire, par exemple sur le culte kitschissime du Père Noël poussé à son apogée en ces contrées, ou encore la vogue des mariages du mardi où les époux font cortège dans les villes, lui jeune et costumé, elle bras nus et décolletée en  robe de mousseline nylon,  transie (de froid)   par -10°, ... mais je ne veux pas me substituer exagérément à votre auteuse favorite et vous promets de ne plus recommencer au moins pour ce voyage.
 Gora Ouzbekistani askatuta.

11 commentaires:

  1. Oh quelle merveille... Telle fille... tel père !!!


    Une famille formidable !

    Je me régale de vos proses en tout cas, à vous lire, je ne comprends pas pourquoi l'Ouzbékistan n'est pas plus populaire ! Vos voyages font tellement envie !

    Grosses bises glacées de l'Ouest (il doit faire 5 degrés, ne riez pas !).
    Emma(n).

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  2. Si, si, "Tashi", continue ! Thérèse et toi avez de formidables talents de conteurs qui se complètent tout à fait...
    C'est une bien belle épopée que vous vivez là, où chacun a trouvé sa place, et à mon tour, je dis et redis chapeau aux parents !
    Bisous
    Nath de B

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  3. Gora !
    Merci Aïta pour ce beau récit, content d'avoir pu vous parler ces jours-ci et de voir que le moral est toujours bon malgré l'adversité d'un Toqcar capricieux.
    Grosses bises à tous et bisou qui guérit au véhicule.
    Salomé vous garde une floppée de sourires de côté pour vos retours.
    Bises des Konkons de Paris, qui aimeraient bien être avec vous.

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  4. C'est toujours un plaisir de vous lire, que ce soit le papa ou la fille. Continuez encore de nous faire rêver... Gwlad'

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  5. Je suis bluffée par cette lecture non moins fascinante que celle de Thérèse... Merci d'avoir pris votre plume informatique et d'aboir égalent pris le temps de nous raconter votre vision/ version du voyage.... Un vrai bonheur ! Énormes muxus à tous

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  6. Super récit, on boit goulument vos écrits !
    Du pur régal !

    Terminez bien l'année, profitez...profitez et prenez soin de vous

    Amicalement

    "Rencontre en Mongolie"

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  7. super recit!!! merci a vous !!! grosse bise a tous
    anne ce

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  8. Mais on adore toute cette famille capable de nous faire partager autant de savoureux moments!!
    La vision extérieure de nos Toques préfères est passionnante. et quel courage pour affronter les mauvais tours du toqcar!.

    Mille bisous a tous. Que prévoyez-vous pour le jour de l'An?

    Hélène

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  9. juste un petit mot pour vous dire que votre récit est passionnant ... il va falloir que je regarde une carte avec précision!!! je n'ai pas le temps actuellement ( la vie d'une européenne en période de fêtes est tres occupée ; pourtant , les problèmes à régler semblent dérisoires !)
    je contemple Léon qui a l'âge de Diane ...

    bravo à vous tous bises à partager
    tres bonne Année et à bientôt pour d'autres récits les Sommaire

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  10. Très bon le nègre aussi !
    TT, tu devrais songer à l'envoyer de temps à autre à ta place faire des cours, pendant les soldes ou les jours de raz-le-bol par exemple :)
    A+. La bise à tous

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