Je pense que ce message est le plus difficile à écrire pour moi. Parce que les choses sont très compliquées et nous dépassent largement, parce que je ne veux pas blesser nos amis israéliens mais que je ne peux pas taire nos interrogations et que nous voyageons aussi pour voir le monde dans tous ses aspects, l'histoire dans toute sa complexité.
Nous nous emmêlons.
Il y a 11 mois, nous avons commencé notre voyage en Allemagne, en suivant le mur de Berlin. Nous avons ensuite visité Auschwitz et Birkenau, avons pleuré face à l'horreur humaine. Et aujourd'hui nous voici en Israël, pays né à cause de cette horreur, pays magnifique, terre sainte. Il y a toujours une cohérence dans le monde et l'histoire, et dans notre voyage. Mais il y a surtout beaucoup d'absurdité dans tout cela et nous ne comprenons pas. Parce que c'est incompréhensible. C'est pour cela que j'ai tant de mal à mettre mes idées en place et à écrire un texte cohérent.
Hier, nous sommes allés visiter Hébron. Terre disputée en territoire palestinien. En Israël, on dit "les territoires", c'est plus simple, ça évite de préciser ce qu'on entend par là. Depuis 11 mois nous demandons à nos enfants de dire bonjour aux gens dans leur langue. Là nous leur avons demandé de dire "Hello" quoi qu'il arrive, pour éviter les Shalom ou Salam Aleikoum déplacés, parce que nous-mêmes ne sommes plus très sûrs de ce que nous devons dire.
Et nous nous sommes retrouvés face à des colonies, des camps retranchés, derrières des barbelés. Des portes gardées, des univers israëliens sur les terres palestiniennes, leurs drapeaux, plus grands que jamais, flottant au vent. Puis nous avons visité le tombeau des patriarches après être passés par des contrôles militaires, des portiques détecteurs d'armes. Nous l'avons visité du côté juif. Parce que si les patriarches sont communs aux trois religions monothéistes, musulmans et juifs ne peuvent plus leur rendre hommage ensemble. Pour l'amour de leurs aieux, on sépare les peuples.
Nous avons adoré l'ambiance de recueillement vivant du tombeau, vous vous doutez que les toqués de livres que nous sommes ont immédiatement remarqué et adoré les bibliothèques qui meublent ce lieu saint, voir les juifs plongés dans les livres, discutant, priant en lisant les textes saints. On imagine bien Jésus discutant à la synagogue avant d'envoyer bouler sa mère, ce jeune insolent.
Mais dès que nous sommes sortis du tombeau, la réalité nous est retombée dessus. Les militaires, les drapeaux, les miradors, les barrières, des zones : H1, H2... Nous sommes allés nous perdre dans les vieilles rues d'Hébron, très belle vieille ville, en partie condamnée par les autorités israéliennes. Avant d'entrer dans la vieille ville, des contrôles militaires, et dans la vieille ville, la principale préoccupation des commerçants est de nous expliquer leur situation, leur histoire, de s'assurer que nous étions au courant et que nous parlerions de leur vie. Au sein de la vieille ville, 400 colons israéliens sont installés, protégés par 8000 militaires. Des miradors surveillent les rues, des filets protègent les passants des projectiles. Les mouvements des palestiniens sont limités, des rues, des zones entières leur sont interdites. Et nous imaginons que les colons ne sortent pas de leur périmètre ultra-protégé. Quelle vie pour les uns et les autres... Des observateurs internationaux sont là, regardent, surveillent, écrivent des rapports et tentent, à défaut de pacifier la zone, d'essayer d'y faire respecter un certain ordre... Mais comment parler d'ordre dans tout cela ?
Alors, entre deux lieux saints, on s'interroge.
L'église de la nativité à Bethléem est très belle. Simple, magnifiquement décorée de boules de verre colorées. La grotte de la nativité prête à la rêverie et a fait rêver les petits Toqués. Les pèlerins, de tous horizons, s'y pressent, et le simple fait de se trouver là nous ravit. On fait des prières, on se recueille tous ensemble. Puis on se laisse un peu entraîner dans la culture palestinienne, on retrouve l'hospitalité musulmane, Gaspard et Léon se font de nouveau embrasser, on retrouve quelques repères, on est émus d'être ici, en Judée.
Mais très vite, suivant notre route vers Jérusalem, nous nous heurtons au mur. Un mur immense, atroce, qui nous ramène quelques mois en arrière dans notre voyage, à Berlin, absurdité de l'histoire, folie sans fin des hommes. Comment comprendre ? A quoi rime un mur puisque les territoires palestiniens ne sont pas autonomes, puisque des colonies israéliennes s'y construisent toujours, s'il est symbolique, quel est ce symbole, sommes nous sûrs de vouloir le comprendre d'ailleurs ?
Histoires de cartes et de territoires, de religions, de revanche, de haine, de reproduction du modèle historique, spirale sans fin de la violence et de la guerre. Impossible d'y voir clair, impossible de passer sous silence toutes les souffrances, la misère d'un peuple à qui on refuse une identité et une terre, les infractions aux accords internationaux qui demeurent impunies, les hommes et les femmes et surtout les enfants des deux campx, entraînés dans cette violence, les peurs, impossible d'ignorer ces militaires en arme, ces civils en arme que nous croisons partout et qui me glacent, impossible d'ignorer ces sirènes qui ont retenti, à peine étions-nous arrivés à Jérusalem - exercice au cas où - impossible d'ignorer que cette situation semble désormais normale pour tous ceux qui la vivent depuis toujours.
Lorsqu'une militaire israélienne, à un check-point, est montée dans le camping-car pour visiter, poussant de grands cris : "Oh mon dieu, mais je n'en ai vu que dans des films, il n'y a que dans les films qu'on peut voir ça !", Rachel nous a ensuite dit : "Je n'ai rien répondu, comme vous nous l'avez demandé - pour une fois ndlr - mais je voulais lui dire que nous aussi il n'y a que dans les films qu'on voit des gens avec des armes comme la sienne !". Veinards que nous sommes de vivre dans un pays en paix, et un pays pacifiste, où le service militaire dure une journée (contre 3 ans pour les garçons et 2 ans pour les filles en Israël, imaginez la formation de l'esprit et de la personnalité à cet âge-là...) et où on ne voit des militaires en arme que dans les gares parisiennes dans les périodes de plan Vigipirate (ou tous les soirs à la TV, ne peut s'empêcher d'ajouter la vieille bique).
Nous poursuivons notre voyage en nous installant pour dix jours au coeur de Jérusalem.
Installés comme des pachas, accueillis comme des rois, difficile de croire que ce pays présente de tels contrastes, mais je crois que nous n'avons pas fini d'être émerveillés et surpris...
Nous nous emmêlons.
Il y a 11 mois, nous avons commencé notre voyage en Allemagne, en suivant le mur de Berlin. Nous avons ensuite visité Auschwitz et Birkenau, avons pleuré face à l'horreur humaine. Et aujourd'hui nous voici en Israël, pays né à cause de cette horreur, pays magnifique, terre sainte. Il y a toujours une cohérence dans le monde et l'histoire, et dans notre voyage. Mais il y a surtout beaucoup d'absurdité dans tout cela et nous ne comprenons pas. Parce que c'est incompréhensible. C'est pour cela que j'ai tant de mal à mettre mes idées en place et à écrire un texte cohérent.
Hier, nous sommes allés visiter Hébron. Terre disputée en territoire palestinien. En Israël, on dit "les territoires", c'est plus simple, ça évite de préciser ce qu'on entend par là. Depuis 11 mois nous demandons à nos enfants de dire bonjour aux gens dans leur langue. Là nous leur avons demandé de dire "Hello" quoi qu'il arrive, pour éviter les Shalom ou Salam Aleikoum déplacés, parce que nous-mêmes ne sommes plus très sûrs de ce que nous devons dire.
Et nous nous sommes retrouvés face à des colonies, des camps retranchés, derrières des barbelés. Des portes gardées, des univers israëliens sur les terres palestiniennes, leurs drapeaux, plus grands que jamais, flottant au vent. Puis nous avons visité le tombeau des patriarches après être passés par des contrôles militaires, des portiques détecteurs d'armes. Nous l'avons visité du côté juif. Parce que si les patriarches sont communs aux trois religions monothéistes, musulmans et juifs ne peuvent plus leur rendre hommage ensemble. Pour l'amour de leurs aieux, on sépare les peuples.
Nous avons adoré l'ambiance de recueillement vivant du tombeau, vous vous doutez que les toqués de livres que nous sommes ont immédiatement remarqué et adoré les bibliothèques qui meublent ce lieu saint, voir les juifs plongés dans les livres, discutant, priant en lisant les textes saints. On imagine bien Jésus discutant à la synagogue avant d'envoyer bouler sa mère, ce jeune insolent.
Mais dès que nous sommes sortis du tombeau, la réalité nous est retombée dessus. Les militaires, les drapeaux, les miradors, les barrières, des zones : H1, H2... Nous sommes allés nous perdre dans les vieilles rues d'Hébron, très belle vieille ville, en partie condamnée par les autorités israéliennes. Avant d'entrer dans la vieille ville, des contrôles militaires, et dans la vieille ville, la principale préoccupation des commerçants est de nous expliquer leur situation, leur histoire, de s'assurer que nous étions au courant et que nous parlerions de leur vie. Au sein de la vieille ville, 400 colons israéliens sont installés, protégés par 8000 militaires. Des miradors surveillent les rues, des filets protègent les passants des projectiles. Les mouvements des palestiniens sont limités, des rues, des zones entières leur sont interdites. Et nous imaginons que les colons ne sortent pas de leur périmètre ultra-protégé. Quelle vie pour les uns et les autres... Des observateurs internationaux sont là, regardent, surveillent, écrivent des rapports et tentent, à défaut de pacifier la zone, d'essayer d'y faire respecter un certain ordre... Mais comment parler d'ordre dans tout cela ?
Alors, entre deux lieux saints, on s'interroge.
L'église de la nativité à Bethléem est très belle. Simple, magnifiquement décorée de boules de verre colorées. La grotte de la nativité prête à la rêverie et a fait rêver les petits Toqués. Les pèlerins, de tous horizons, s'y pressent, et le simple fait de se trouver là nous ravit. On fait des prières, on se recueille tous ensemble. Puis on se laisse un peu entraîner dans la culture palestinienne, on retrouve l'hospitalité musulmane, Gaspard et Léon se font de nouveau embrasser, on retrouve quelques repères, on est émus d'être ici, en Judée.
Mais très vite, suivant notre route vers Jérusalem, nous nous heurtons au mur. Un mur immense, atroce, qui nous ramène quelques mois en arrière dans notre voyage, à Berlin, absurdité de l'histoire, folie sans fin des hommes. Comment comprendre ? A quoi rime un mur puisque les territoires palestiniens ne sont pas autonomes, puisque des colonies israéliennes s'y construisent toujours, s'il est symbolique, quel est ce symbole, sommes nous sûrs de vouloir le comprendre d'ailleurs ?
Histoires de cartes et de territoires, de religions, de revanche, de haine, de reproduction du modèle historique, spirale sans fin de la violence et de la guerre. Impossible d'y voir clair, impossible de passer sous silence toutes les souffrances, la misère d'un peuple à qui on refuse une identité et une terre, les infractions aux accords internationaux qui demeurent impunies, les hommes et les femmes et surtout les enfants des deux campx, entraînés dans cette violence, les peurs, impossible d'ignorer ces militaires en arme, ces civils en arme que nous croisons partout et qui me glacent, impossible d'ignorer ces sirènes qui ont retenti, à peine étions-nous arrivés à Jérusalem - exercice au cas où - impossible d'ignorer que cette situation semble désormais normale pour tous ceux qui la vivent depuis toujours.
Lorsqu'une militaire israélienne, à un check-point, est montée dans le camping-car pour visiter, poussant de grands cris : "Oh mon dieu, mais je n'en ai vu que dans des films, il n'y a que dans les films qu'on peut voir ça !", Rachel nous a ensuite dit : "Je n'ai rien répondu, comme vous nous l'avez demandé - pour une fois ndlr - mais je voulais lui dire que nous aussi il n'y a que dans les films qu'on voit des gens avec des armes comme la sienne !". Veinards que nous sommes de vivre dans un pays en paix, et un pays pacifiste, où le service militaire dure une journée (contre 3 ans pour les garçons et 2 ans pour les filles en Israël, imaginez la formation de l'esprit et de la personnalité à cet âge-là...) et où on ne voit des militaires en arme que dans les gares parisiennes dans les périodes de plan Vigipirate (ou tous les soirs à la TV, ne peut s'empêcher d'ajouter la vieille bique).
Nous poursuivons notre voyage en nous installant pour dix jours au coeur de Jérusalem.
Installés comme des pachas, accueillis comme des rois, difficile de croire que ce pays présente de tels contrastes, mais je crois que nous n'avons pas fini d'être émerveillés et surpris...
Effectivement, ça fait réfléchir sur notre situation !
RépondreSupprimer"Les larmes du passé fécondent l’avenir"
Alfred de Musset
sublime texte merci therese...
RépondreSupprimerannece
Salut les Toqués,
RépondreSupprimerj'aime beaucoup le texte, juste un point de désaccord ou plutôt d'interrogation(facile le C... sur ma chaise de bureau..) sur la chance d'être et de vivre en France, quid de la possibilité, de la volonté des jeunes en part. mais de la population israëlienne en général, de s'exprimer librement et démocratiquement ?...une pensée grandement conditionnée (de part et d'autres d'ailleurs) par la religion ?...fanatisme et intégrisme au fur et à mesure que les libertés sont bafouées...
Bref, la lecture de votre texte me conforte encore plus dans mon rejet des religions, comme source de conflit tout au long de l'histoire...je dis ça mais j'ai rien dit..
Les Toc-toqués faut pas "reviendre", on va se faire chier sans vos lectures !..
Biz des lipos des montagnes(on commence à éplucher les patates de la Tartiflette de votre retour...)
Pour connaître un peu la région, j'adhère complètement à ton analyse, très bien développée du reste. Cette région du monde est tellement riche et en même temps, tant de conflits. On apprend et comprend tellement quand on est sur place.
RépondreSupprimerEt quand vous en pourrez plus, allez vous vider la tête à Tel Aviv :)
Je trouve la photo formidable !
RépondreSupprimerDe nouveau marraine demain, je penserai à ton texte pendant la cérémonie du baptême, à la façon de partager et de transmettre autour de la religion...
Et puis, ces derniers mots : "dix jours au coeur de Jérusalem", si on compte bien, ça veut dire que le retour est pour bientôt. Hâte, hâte, hâte !
Bisous
Idem, je suis touché par ce texte, et dans vos hésitations entre Shalom et Salam je ne peux que penser à Salomé dont nous avons choisi le prénom pour la beauté du sens partagé par ces mots... Si proches dans les langues de ces 2 peuples qui ne cessent de s'affronter et qui paraissent embourbés dans un tel marasme. Vivemeent votre retour que tu voies ta filleule et que vous nous racontiez encore mieux tout ça, continuez à vivre intensément ce voyage,
RépondreSupprimerbises,
Ximun.